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Moins d'agriculteurs... Plus de terres ?

Publié le 16 septembre 2019 , mis à jour le 17 août 2023

On pourrait croire que les nombreux départs à la retraite qui se profilent vont libérer des terres et faciliter les installations, mais la réalité n’est pas si simple. Entretien avec Alain Guéringer, chercheur à l’Institut national de recherche en sciences et technologies pour l’environnement et l’agriculture (Irstea) et paysan.

Quel est l’impact du vieillissement de la profession agricole sur la structure du foncier ?


Avec la génération qui va arriver prochainement à la retraite, il va y avoir un afflux de foncier qui pourrait théoriquement être mis à la disposition d’autres agriculteurs pour des installations ou des agrandissements. Mais ce n’est pas si simple, il faut voir dans quelle mesure les agriculteurs qui pourraient reprendre seront en mesure d’absorber tout ce foncier.
Du point de vue de l’installation, il n’est pas toujours évident de trouver le capital nécessaire, et ceci d’autant plus que la profession agricole est réticente à démembrer une exploitation quand elle est dite viable. Or parfois, et notamment avec les installations en circuit court et vente directe, diviser l’exploitation en deux pourrait permettre à deux projets agricoles de se développer.
Et même lorsqu’on parle d’agrandissement, la reprise de terres bouscule en général le système de production. Par exemple, l’éleveur qui souhaite s’agrandir devra en parallèle augmenter son troupeau, adapter ses bâtiments d’élevage… Le capital à mobiliser ne concerne pas que le foncier !

Cela signifie qu’il n’y a ni installation, ni agrandissement suite à ces nombreux départs à la retraite ?


En fait, cela va dépendre des territoires. Par exemple en Haute-Loire, ce sont des petites structures d’exploitation et de propriété, beaucoup plus faciles à transmettre que dans l’Allier où les propriétaires possèdent souvent de 200 à 300 ha.
Mais globalement, il y a quand même un phénomène d’agrandissement des exploitations, en lien avec le modèle agricole majoritaire qui est d’accroître son revenu par de plus grandes surfaces plutôt que par l’augmentation des marges par hectare. En outre, les terres étant le support des droits à primes PAC - qui sont calculées par hectare cultivé - il y a une fuite en avant au niveau de la recherche de surfaces.
Et finalement, avec les capitaux qu’il faut mobiliser pour reprendre des terres, on arrive à bousculer le modèle d’agriculture familiale qui est prépondérant en France pour se diriger vers des logiques d’investisseurs. On trouve maintenant des conglomérats d’exploitations avec des distances importantes entre îlots de culture au point qu’il faut parfois que l’agriculteur se dote de deux parcs matériels. C’est une reproduction du modèle industriel qui a été adapté à l’agriculture.

Et pourtant, la mise sur le marché de tant de terres ne devrait-elle pas faire baisser les prix du foncier et le rendre accessible ?


Aujourd’hui, seulement 25 % des terres sont en faire valoir direct, c’est-à-dire qu’elle sont soit propriété de l’exploitant, soit de sa famille qui les lui met à disposition, souvent gratuitement. Donc moins d’un quart de la surface est la propriété des agriculteurs eux-mêmes. Or, in fine, c’est le propriétaire qui décide de ce qu’il va faire du foncier.
Avec l’évolution des propriétaires, qui étaient autrefois enfants de paysans et qui sont aujourd’hui de plus en plus éloignés du point de vue familial, sociologique et géographique, on pourrait supposer qu’ils vendent plus facilement, ayant moins d’attachement aux terres. Mais c’est sans compter sur les stratégies spéculatives qui sont fréquemment mises en place. En effet, étant donné le différentiel de coût entre les terres agricoles et les terrains urbanisables, le propriétaire préfère souvent ne pas relouer les terres au départ à la retraite du fermier en place dès qu’on est sur un secteur où existe une dynamique d’urbanisation, même lorsqu’on n’est pas à proximité immédiate d’une ville. Ils retiennent le foncier en espérant un changement dans les documents d’urbanisme ou, quand ils décident de vendre, anticipent le différentiel de rente et augmentent le prix des terres en conséquence.
Néanmoins, il est vrai que globalement, la tendance à la hausse des prix du foncier, continue depuis des années, s’est ralentie et il arrive même que dans certains secteurs très ruraux - où les propriétaires savent que les terres ne sont jamais urbanisées - le prix de la terre baisse.

En ce qui concerne les surfaces en bio, y a-t-il le risque qu’elles repassent en agriculture chimique ?


Il existe des mécanismes pour protéger les surfaces en bio, notamment dans le cadre des structures de régulation du foncier agricole qui priorisent les candidats en bio lors des attributions de terres. Il y a d’ailleurs une augmentation constante des surfaces en bio. Cependant, il peut arriver qu’il n’y ait pas de candidat en bio et à ce moment, les terres repartent dans le circuit conventionnel. Par ailleurs, ce sont les cédants – propriétaire ou exploitant – qui décident au final qui va reprendre. Et les critères de choix prioritaires pour ces derniers ne sont pas toujours le fait que le candidat cultive en bio et cela peut bloquer certains projets de reprise par des agriculteurs bio.

Que pourrait-on faire, comment peut-on mobiliser les institutions existantes pour limiter l’agrandissement ?


Après la loi d’orientation agricole de 1960 qui associait la modernisation de l’agriculture à l’agrandissement des exploitations, des outils de régulation du foncier agricole (SAFER et contrôle des structures) ont été mis en place dès 1962. Cependant, avec la baisse du nombre d’agriculteurs à la fin des années 1980, le risque qu’il y ait plus de terres agricoles que nécessaire entraînant de l’enfrichement a été pointé. Une politique de relâchement du contrôle des structures a donc été initiée, facilitant les agrandissements. Cela a été accentué par la réforme de la PAC qui en 1993 a remplacé par des primes à l’hectare le soutien au revenu par les prix. Aujourd’hui, il n’y a pas vraiment de régulation efficace sur le foncier.
Pour y remédier, il pourrait y avoir un travail d’animation des territoires avec diagnostic foncier et programme spécifique d’aides financières sur des actions foncières, comme cela a existé avec les OGAF (opérations groupées d’aménagement foncier). Terre de Liens, en lien avec les élus locaux, pourrait y avoir sa place...

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