Terre de Liens marche sur deux jambes : la protection du foncier agricole, d’une part, et l’éducation populaire autour des enjeux agricoles, d’autre part. C’est dans ce cadre que, régulièrement, Terre de Liens soutient et diffuse des films documentaires sur le monde agricole ; cet automne, à l’Académie du Climat de Paris, il s’agissait de Terres précieuses, réalisé par Martine Debiesse et Claire Leluc-Derouin, sur l’urbanisation du plateau de Saclay et ses conséquences sur le milieu agricole local.
Martine Debiesse et Claire Leluc-Derouin se sont rencontrées alors que Martine rédigeait un ouvrage sur le plateau de Saclay, déjà intitulé Terres précieuses et qui rassemblait des témoignages d’agricultrices et agriculteurs de la zone. Claire étant gérante de cinémas, l’idée leur est alors venue d’en faire un film. N’ayant jamais tourné de film ni l’une ni l’autre, elles ont été aidées par deux de leurs fils, étudiant ou travaillant dans le cinéma. Et surtout, soutenues par de nombreux acteurs locaux et associatifs !
La première partie du film revient sur l’histoire de la fertilité du plateau, en donnant la parole aux familles qui y vivent, pour certaines depuis plusieurs générations. Elles racontent que ces sols ont toujours été riches, mais trop gorgés en eau pour être le support de cultures nourricières. C’est seulement au XVIIéme siècle, et par effet indirect, que sa fertilité est améliorée. À cette époque, le nouveau palais royal, à Versailles, requiert une alimentation abondante en eau pour ses jardins. Un système de drainage est alors mis au point pour y conduire l’eau de ce sol marécageux. Autre conséquence (et celle qui nous intéresse !) : la multitude de rigoles installées sur le plateau a permis d’évacuer l’eau stagnante et, contre toute attente, d’assainir les sols. Ainsi commence le début d’une longue histoire agricole sur le plateau de Saclay. En arrivant à la période actuelle, ses occupants témoignent du récent revirement de situation avec la mise en place de l’OIN (opération d’intérêt national) par l’État, en 2006. Le film revient peu sur l’historique de ce projet, mais on comprend qu’il vise à donner au plateau une autre fonction : celle de faire rayonner le prestige scientifique (et donc politique) de la métropole du Grand Paris, en le concentrant sur un campus de rang mondial. Mais quel que soit le motif, est-ce que l’urbanisation de terres fertiles est encore recevable à l’heure de la transition écologique ? Est-ce compatible avec la nécessité de nourrir localement la population francilienne ? En plus de condamner des terres fertiles, c’est aussi le fait de perturber le fonctionnement actuel du plateau qui est critiqué : déséquilibre du système de drainage, pollution lumineuse, perturbation de la circulation des engins, etc. Ces changements radicaux ne semblent pas propices à une meilleure cohabitation entre agricole et urbain. On regrettera peut-être le manque de contextualisation de ce projet d’aménagement urbain, pour mieux comprendre ses motivations, sa localisation précise et sa manière de prendre en compte (ou non) l’activité agricole. Mais le cœur du sujet est bien là : faire entendre des témoignages d’exploitants avant tout, garder une trace de leur histoire sur place, de leur lien au territoire, et de leur perception des mutations à l'œuvre. Si une indéniable indignation pour le projet urbain en ressort, c’est aussi un élan positif que l’on retient. À travers les portraits qui rythment le documentaire, on se réjouit de la mutation du système agricole en cours sur le plateau. Les initiatives individuelles et collectives se multiplient pour diversifier les exploitations et montrer l’importance du plateau de Saclay pour alimenter la région. Toute la seconde partie du film est ainsi dédiée à ces portraits qui donnent à voir et à entendre la richesse de cette agriculture locale.
La centaine de personnes venues assister à cette projection, le 12 octobre dernier, ont apprécié de découvrir les initiatives portées par les acteurs locaux mais se sont interrogées sur leur portée : la vente en circuit court suffit-elle à assurer les revenus des producteurs locaux ? Il est bien évident que cela ne suffit pas et que le reste de la production doit être vendu sur les marchés nationaux. Mais ces actions ont le mérite de raviver le lien avec la terre et, surtout, de sensibiliser aux enjeux agricoles par le biais de l’assiette !
Les autres questions ont porté sur l’évolution du plateau de Saclay : le film ayant été tourné avant l’engagement des travaux du Grand Paris, ces derniers n’y sont pas visibles. Différentes inquiétudes quant à l’élaboration du prochain Schéma directeur d’Île-de-France (Sdrif) ont alors été exprimées, que les réalisatrices n’ont hélas pas pu rassurer. La suite du débat a rappelé que l’engagement de tous, localement et au niveau national, est indispensable si l’on veut conserver une agriculture vivante et vivrière !
