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Élaboration du SDRIF - l'avis de Terre de Liens Île-de-France

Publié le 1 mars 2023 , mis à jour le 17 août 2023

Concertation préalable à l’élaboration du schéma directeur (SDRIF-E) à l’horizon 2040, en application du code de l’environnement.

Terre de Liens est un mouvement citoyen en faveur d’une agriculture biologique et paysanne productrice d’une alimentation locale et respectueuse de l’équilibre des écosystèmes, qui considère la terre comme un bien commun vivant et inaliénable destiné à assurer la souveraineté alimentaire des populations.

Si l'étirement des chaînes d’approvisionnement alimentaire nous l'aura presque fait oublier, il faut se rappeler que la prospérité de Paris et de sa région a longtemps été portée par l'incroyable richesse de ses sols. Avec les plateaux fertiles de la Beauce, du Mantois, du Vexin, du Valois, de la Brie et du Gâtinais, le bassin parisien fut et continue d'être synonyme d'abondance céréalière. Les flancs de ses vallées de la Marne, de la Seine, de l'Oise, de l'Orge, de l'Essonne furent quant à eux longtemps le lieu d'une intense production maraîchères et fruitières, dont l'asperge d'Argenteuil, la fraise de Marcoussis ou la poire de Groslay perpétuent la mémoire.

Or, depuis plus d'un siècle, ces terres disparaissent.

La région Île-de-France pourrait aujourd'hui s'enorgueillir d'être la bonne élève de l'artificialisation des sols en France : seulement 4% des espaces NAF artificialisés dans le pays par an depuis 2012, pour 18% de la population et 30% du PIB. Mais c'est une réalité en trompe l’œil, qui repose sur des décennies de destructions de terres agricoles au profit de l’étalement urbain. Les chiffres sont éloquents : depuis 1949, 180 000 hectares de terres agricoles ont disparu en Île-de-France, soit 15% de la surface de la région. Environ 1/5ème des espaces de la région sont désormais urbanisés, et les terres agricoles représentent aujourd’hui moins de la moitié de la surface (49%). Conjugué à la concentration de population la plus importante du pays, la production agricole de la région ne peut plus subvenir aujourd'hui à ses besoins alimentaires quotidiens, la SAU d'Île-de-France ne pouvant fournir qu'à peine 15% des besoins alimentaires des franciliens. Le choix des cultures que l'on souhaite y privilégier est un enjeu prépondérant qui vient s'ajouter à la nécessaire préservation des terres agricoles.

Pourtant, lorsque les terres agricoles ne sont pas considérées comme simples « réserves foncières » pour une urbanisation grandissante, elles sont de réelles ressources pour développer des projets économiques, sociaux, environnementaux et paysagers.

Proposition Emplois : une agriculture vectrice de développement local

Les fermes s’agrandissent et se raréfient, aux dépens de l’environnement … mais aussi de l’emploi qu’elles créent. Sur les dix ans à venir, le passage à l’âge de la retraite des 5 513 chefs d’exploitation et coexploitants de la région Île-de-France pose la question du devenir des exploitations agricoles et des emplois qui leur sont liés : la DRIAAF estime qu’une exploitation sur deux est dirigée par un agriculteur de plus de 55 ans. Si rien n’est fait pour contrer la tendance actuelle, les rachats vont aller vers un agrandissement des exploitations, et vers un modèle d’exploitation industrialisée au détriment du modèle paysan. En Île de France, alors que l’on compte 600 fermes de moins qu’en 2010, leur taille moyenne s’est encore agrandie, atteignant désormais 127 ha en 2020. Ces fermes « XXL » basées sur des modèles d’exploitations intensives, spécialisées en grandes cultures, ne participent pas à dynamiser l’emploi local. En 2020, les exploitations agricoles en Île-de-France employaient 13 000 personnes, dont 9 400 permanents et 3 600 saisonniers. Qu’en sera-t-il demain ? Or une petite exploitation crée deux à quatre fois plus d’emplois sans compter les retombées locales en matière de circuit courts de distribution voire de transformation. Le phénomène d’agrandissement et de regroupement des fermes est donc une menace importante pour l’emploi et contrarie le développement local des zones agricoles de grande couronne.

Propositions pour le SDRIF-E :

Reconnaître les fonciers agricoles comme des « zones » de création d’emplois en agroécologie et surtout en agriculture biologique.

Proposition Biodiversité : une agriculture respectueuse des écosystèmes

Le constat de la dégradation de la biodiversité et de la qualité des milieux est accablant.

Depuis les 15 dernières années en Île-de-France, 25% des oiseaux ont disparu, et entre 2004 et 2017, 45% des oiseaux spécialistes des milieux agricoles. La dégradation des habitats menace 1/3 de la flore d’Île de France (ARB,LPO, étude MNH/CNRS printemps 2018)

L’IPBES (plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques) indique que le changement d’usage des sols est la première cause d’extinction de la biodiversité mondiale. Le SRCE d’Ile de France, dans son introduction, mentionne « Le développement de l’urbanisation, d’infrastructures linéaires et de pratiques de gestion des ressources naturelles défavorables à la biodiversité ont conduit à une importante réduction des surfaces des habitats naturels et à leur fragmentation, première cause d’érosion de la biodiversité. »

L’intensification agricole participe fortement à cette dégradation, notamment par la consommation d’engrais azotés (nitrates) et de pesticides chimiques, par la réduction des rotations des cultures, l’homogénéisation des cultures, la disparition des mares, des fossés, des haies, et la perte de qualité des sols (étude précité MNH/CNRS 2018).

L’agriculture est un des maillons essentiels de la préservation et de la restauration des écosystèmes. 1/4 des êtres vivants vivent dans le sol. Les espaces agricoles doivent être intégrés aux enjeux de préservation de la biodiversité, de même la qualité des sols doit être ajouté à l’enjeu de cette préservation.

La santé des humains est liée à la préservation et la restauration des écosystèmes. L’OFB sur son site internet le dit très explicitement « la santé des humains et celle des autres êtres vivants sont étroitement liées. D'où la nécessité de protéger les écosystèmes pour préserver la santé de tous. La santé nécessite une approche globale. Médecins, vétérinaires, écologues, agriculteurs, aménageurs, individus... Chacun de nous est concerné ! ».

Propositions pour le SDRIF-E :

  • Identifier les ENAF (espaces naturels et forestiers) sur la cartographie du SDRIF-E
  • Prendre en compte la qualité des sols et leur fonctionnalité écologique  et instaurer les principes de préservation et de reconquête de cette richesse : une agriculture biologique qui maintient et développe des sols vivants,
  • Intégrer les espaces agricoles aux corridors écologiques, et lutter conjointement à la fragmentation des habitats et des espaces agricoles.

Proposition Biodiversité : une agriculture respectueuse de la ressource en eau

Les derniers épisodes de sécheresse et de fortes précipitations ont démontré notre fragilité face à la gestion des eaux de pluie : la fragilité de nos ressources en eau potable d’une part, et la fragilité de nos milieux urbanisés face au risque d’inondation d’autre part.

Les atteintes à l’environnement ont un impact immédiat sur les ressources en eau, que ce soit au niveau du renouvellement des ressources (on parle de sécheresse hydrologique) ou de leur qualité. En Île-de-France les réseaux de distribution des eaux potables sont majoritairement alimentés par des nappes phréatiques. Cette ressource est très sensible à la pollution diffuse, notamment agricole, au tassement des sols qui limite l’infiltration, et sa capacité de renouvellement est faible. Entre 2000 et 2014, plus de 100 captages ont dû être abandonnés en raison de pollutions notamment aux nitrates et aux pesticides.

L’imperméabilisation des sols, la pression de l’urbanisation aux abords des lits des cours d’eau, la disparition des berges plantées, mais également une agriculture qui tasse les sols, qui exploite sans tenir compte des pentes et favorise le lessivage des sols, ont un impact sur la vitesse et l' intensité de l’écoulement des eaux pluviales, et sur les volumes d’eau rejetés dans les cours d’eau.

L’agriculture est un des maillons essentiels de la préservation des ressources en eaux, de leur renouvellement et de la gestion des eaux pluviales. Ainsi, les espaces agricoles devraient participer à une meilleure gestion en amont des eaux pluviales.

Propositions pour le SDRIF-E :

  • Gestion des ressources en eau potable : Étendre les périmètres de préservation des nappes phréatiques, pour concourir à la préservation des ressources en eau et accompagner les installations d’exploitations agricoles en agriculture biologique, sur ces périmètres.
  • Gestion des eaux pluviales : Introduire les éléments du SDAGE dans le SDRIF-E en matière de gestion des eaux pluviales, en donnant à l’agriculture un rôle dans cette gestion, notamment dans la lutte contre les inondations et l’érosion (cf SDAGE) et Faire de la « réserve utile en eau » des sols, un indicateur premier de gestion des eaux.

Proposition phare : ZAN – ZAB

Les objectifs de sobriété foncière portés par la politique de "Zéro Artificialisation Nette" (ZAN) de la région pourraient être porteurs d'espoirs. Le ZAN se définit comme le solde de l'artificialisation et de la renaturation des sols. Cette politique ne permet pas, en fait, la préservation de la qualité des sols car elle estime que ce qui peut être détruit ici peut être recréé ailleurs, par la compensation. Or, une terre recèle des fonctions écosystémiques essentielles : de l'infiltration des eaux à la séquestration de carbone, en passant par l'hébergement de la biodiversité et, bien évidemment, par la production alimentaire. L’imperméabilisation, l'érosion, le compactage, la pollution et la disparition de matière organique et de biodiversité qu’entraîne l'artificialisation des terres est pratiquement irréversible : la terre arable ne peut se régénérer que de l'ordre d'1cm par siècle.

Les principales causes d’urbanisation ont été la création de lotissements pavillonnaires et de zones logistiques. Au delà des grands projets destructeurs et largement contestés du plateau de Saclay ou du Triangle de Gonesse, les terres agricoles d'Île-de-France continuent de subir des projets d’aménagement : en 2022 l’Institut Paris Région a recensé 6 530 ha de projets pour les 10 ans à venir, et parmi ces hectares, 3.440 ha de zones à urbaniser déjà actées dans différents PLU franciliens (pour mémoire 6.930 ha d’espaces agricoles ont été artificialisés lors des dix dernières années). Autant d'aménagements gourmands en espaces et en ressources, contribuant à la démultiplication des distances de déplacement, à l'utilité discutable au regard de la catastrophe climatique qui s'annonce et à contre-courant de la résilience nécessaire qu'il s'agirait de mettre en œuvre pour y faire face. Pire encore, la terre agricole, perpétuel parent pauvre des politiques d'aménagement, se trouve désormais menacée par la, pourtant bien nécessaire, transition énergétique : ce sont des milliers d'hectares de fermes solaires, le développement d’unités de méthanisation agricole qui pourraient voir le jour dans la région. Au regard de l'immense superficie des espaces urbanisés et sous exploités que constituent les parkings et autres toitures de zones commerciales et d'activités, et du tri bientôt obligatoire des biodéchets par les collectivités, il apparaîtrait inapproprié de renvoyer dos à dos production d'énergie durable et production alimentaire locale, au détriment de cette dernière.

Au vu de ces constats, il nous apparaît urgent de promouvoir une politique de Zéro Artificialisation Brute (ZAB) ambitieuse, sans prétendre à une hypothétique compensation, dans une perspective de résilience des territoires et de justice sociale. Puisque la terre, et a fortiori, la terre agricole n'est pas une ressource infinie, il est impératif qu'elle puisse être exploitée équitablement, sans occulter les besoins de transformation des espaces urbains au prisme des dérèglements climatiques, ni ignorer la crise du logement à laquelle font face les habitants de la région la plus peuplée de France, mais sans pour autant continuer à faire des surfaces cultivées la variable d'ajustement, voire la réserve foncière des politiques d'aménagement franciliennes.

Propositions pour le SDRIF-E :

  • Instaurer une logique de ZAB, plus ambitieuse que le ZAN
  • Instaurer une préservation des espaces agricoles au même titre que les espaces boisés
  • Instaurer un moratoire sur les projets d’aménagement impactant les espaces agricoles.

Ressources :

Terre de Liens, « L’urgence de défense les terres agricoles », Rapport, Dossier de presse, 2022, en ligne : https://ressources.terredeliens.org/les-ressources/etat-des-terres-agricoles-en-france-synthese-de-4-pages

L’Institut Paris Region, « MOS 2021 : Une sobriété foncière bien établie malgré une reprise des extensions », Note rapide, n°943, Juin 2022, en ligne : https://www.institutparisregion.fr/fileadmin/NewEtudes/000pack3/Etude_2803/NR_943_web.pdf

L’Institut Paris Région, Safer, « Guide de la sobriété foncière en Île-de-France », en ligne : https://www.institutparisregion.fr/fileadmin/NewEtudes/000pack3/Etude_2831/Guide_sobriete_fonciere_final.pdf

Agreste, « 1ers résultats du recensement de l’agriculture 2020, La synthèse en 15 points-clés », Essentiel Île-de-France, février 2022, en ligne : https://driaaf.ile-de-france.agriculture.gouv.fr/IMG/pdf/220222_Essentiel_cle4f41ff.pdf

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