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Foncier agricole : décryptage des intentions du gouvernement

Publié le 11 septembre 2023 , mis à jour le 13 septembre 2023

Le 10 septembre 2023, Marc Fesneau, ministre de l’agriculture, a dévoilé les premiers éléments structurants de l’avant- projet de loi. Ces annonces font suite aux concertations menées partout en France par le ministère de l’agriculture ces derniers mois. Terre de Liens apporte son expertise sur le foncier agricole pour décrypter cet enjeu-phare du projet de loi.

Que contient le “volet foncier” ?

Dans la version qu’a pu consulter Terre de Liens, les principaux éléments du volet foncier de l’avant-projet de loi mettent l'accent sur ce qui rend un investissement foncier attrayant pour les investisseurs, c'est-à-dire comment ils peuvent accroître leurs revenus tirés de la propriété foncière. Cette vision est déclinée dans plusieurs aspects, notamment à travers l'ouverture aux groupements fonciers agricoles d’investissement (GFAI), les avantages fiscaux, la compensation, et la gestion de l'énergie.

Un projet de loi par et pour les investisseurs...

Dès le début de son second quinquennat, Emmanuel Macron identifiait le portage du foncier agricole comme une priorité pour permettre à de nouveaux agriculteur·trices de s’installer et d’accélérer la transition agricole, notamment en dédiant une partie significative des 400 millions d’euros du fonds Entrepreneuriat du Vivant.

En effet - même si le montant alloué semble avoir diminué au fil des mois selon nos sources -, cette intention est bien reprise dans l'avant projet de loi avec la mise en avant d’outils de financement publics et privés qui devraient permettre l’apport de capitaux extérieurs en vue de faciliter les transmissions-transitions. La question de la durée est ici centrale : la rentabilité étant très faible en agriculture, le besoin de lisser les investissements dans le temps est primordial pour permettre l’installation de personnes non-issues du milieu agricole.

Si le gouvernement a bien identifié l'accès à la terre comme un des freins au renouvellement des générations, notamment car cela représente un investissement important en début de carrière (200 000€ pour une installation moyenne sur 35 ha, voir notre rapport) et met logiquement en avant le portage foncier (propriété par un tiers et mise à disposition d'un agriculteur), mais il choisit de mettre l'accent sur l'attractivité pour des investisseurs.

Terre de Liens, qui acquiert des terres agricoles grâce à l’épargne citoyenne depuis plus de 20 ans, met en garde contre l’utilisation de fonds publics au service d’acteurs lucratifs. L'orientation du portage foncier vers des investisseurs ayant pour priorité un retour sur investissement financier (lucrativité) sélectionnera des fermiers capables de payer les loyers les plus élevés (possibilité d'augmenter les loyers, pourtant encadrés par la loi, par le recours aux baux de long termes). Cela se fera au détriment des revenus des agriculteurs et des projets les plus à même de fournir des emplois nombreux et de mettre en œuvre la transition agroécologique.

De plus, la proposition de faire évoluer le statut des GFA vers celui des groupements foncier agricole d'investissement (GFAI) permettra l’ouverture à des capitaux externes, tout en conservant les mêmes conditions et avantages fiscaux. Alors que les les GFA, utilisés pour les acquisitions collectives de foncier agricole jusque-là, ne permettait que des associations de personnes physiques. Dans le secteur forestier, cela donne lieu à de grosses machines d'investissement privées de plusieurs millions d'euros.

Par ailleurs, l’Etat annonce vouloir soutenir le développement de services écosystémiques ou énergétiques dont la valeur peut être rémunérée par un tiers ou le marché constitue un levier de la transition écologique. Il s’agit rien de moins que d'encourager la marchandisation de la nature, solution qui n’a jamais garanti au final la protection de la nature.

Mais où sont les agriculteurs ?

Le projet de loi en l’état vient renforcer, selon Terre de Liens, la logique de financiarisation des terres agricoles déjà à l'œuvre en France qui dessine une agriculture sans agriculteurs. L’ouverture à des capitaux externes ne représente en aucun cas un réel levier pour l’installation et pour lutter contre les dérives de l’agrandissement. Au contraire, comme le pointait déjà un rapport du CGAAER de 2013, “une politique de développement d’outils financiers faisant appel à des capitaux extérieurs à l’exploitation serait de nature à provoquer des effets contraires aux objectifs recherchés (éviter la spéculation sur le foncier agricole, protéger le revenu agricole...)” et contribue même au renforcement des difficultés de régulation des transferts d’usages du foncier en faveur de l’installation et participe à la constitution de structures agricoles de taille importante qui ne peuvent être reprises par des candidats à l’installation non-issus du milieu agricole qui sont pourtant, pour une grande partie, porteurs d’un modèle de transition en agriculture.

De plus, ce projet de loi ne sera crédible que s'il est accompagné d’une refonte globale du parcours à l’installation et de la régulation foncière pour ne pas reproduire les dérives actuelles. Dans son rapport sur les enjeux d'installation et de la transmission en agriculture publié en avril dernier, la Cour des comptes regrettait déjà d’une “inégale représentation des différents types d’agriculture parmi les opérateurs chargés d’accompagner les agriculteurs en dépit des engagements pris”. Si seul le nom change, mais que le pouvoir des chambres d’agriculture est renforcé, alors la coexistence des modèles invoquée par le Ministre restera un vœu pieux.

Nos propositions

Terre de Liens appelle le gouvernement à faire de ce projet de loi un texte réellement fondateur pour la transition de l’agriculture française. Pour cela, il est indispensable d’y faire figurer a minima les dispositions suivantes :

  • Mettre en place un observatoire opérationnel qui recense exhaustivement : les unités de production agricole pour savoir qui possède le foncier et qui en a l’usage, qui permette notamment d’identifier les bénéficiaires effectifs des sociétés agricoles, les surfaces qu’ils contrôlent, en distinguant parmi ceux-ci les agriculteurs actifs, les projets de vente de biens immobiliers agricoles, de parts de sociétés agricoles et des projets de location.
  • Fixer un cadre commun aux SDREA avec comme objectifs prioritaires (critères cumulatifs) l’installation: des personnes qui s'installent en deçà de la surface moyenne départementale/régionale par actif, des personnes qui s'agrandissent en deçà de la moyenne départementale, des personnes qui s'installent dans une limite de taille (seuil des structures), des personnes qui s'installent en agriculture biologique, des femmes, d’espace-test agricoles. Ces critères d’attribution s’appliquent aux structures de portage foncier qui louent, dans le cadre du statut du fermage, à des personnes prioritaires.
  • Soutenir financièrement - notamment via la mise en œuvre du fond entrepreneur du vivant - l’ingénierie nécessaire et la mise en oeuvre des solutions de portage de foncier non lucratives, non spéculatives, ancrées dans les territoires et orientées vers la transition agroécologique, qui apportent un appui durable aux agriculteurs installés, respectent leur autonomie et préservent leurs revenus (sans tirer les fermages vers le haut pour rémunérer des apporteurs de capitaux). Ces solutions sont qualifiées d’initiatives foncières citoyennes (IFAC).

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