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Projet de loi agricole : un texte enfin finalisé mais toujours insuffisant pour renouveler les générations agricoles

Publié le 5 mars 2024 , mis à jour le 5 mars 2024

© Chants de la terre

Une nouvelle étape a été franchie dans le processus PLOAA lancé en 2022 par Emmanuel Macron : la version finale du projet de loi a été présentée pour avis au Conseil d’Etat la semaine dernière. Plus de 14 000 fermes ont disparu sur nos territoires depuis le lancement officiel du processus PLOAA par Emmanuel Macron il y a 18 mois, en septembre 2022. Si le projet de loi était adopté en l’état, nous ne pourrons éviter la poursuite de l’hémorragie, et dès 2030, nous pourrions passer la barre des moins de 400 000 agriculteurs (contre 496 000 en 2020). Poursuivant leur mobilisation, nos organisations analysent le contenu de ce projet de loi et détaillent les amendements nécessaires pour que la loi qui sera finalement adoptée permette d’atteindre ses propres objectifs.

Une constante depuis le lancement du PLOAA : consensus sur les constats ; dissensus sur les solutions

Observant sur le terrain depuis des années les enjeux que soulèvent la crise démographique agricole et les écueils actuels des politiques publiques pour faciliter le renouvellement des générations d’agriculteurs et agricultrices, nos organisations ont salué le lancement, en septembre 2022, d’un processus visant notamment à réformer les politiques de soutien et d’accompagnement à l’installation et à la transmission. Un besoin largement partagé par la diversité d’acteurs investis sur les territoires pour accompagner ce renouvellement des générations agricoles, comme ont pu le mettre en lumière les concertations nationales et régionales organisées en 2023. Réforme du parcours à l’installation, nécessité d’accompagner les transmissions, ouverture à la pluralité des acteurs... tous les enjeux clés ont bien été mis sur la table.

Dans le pacte présenté en décembre 2023 et le projet de loi déposé en Conseil d’Etat la semaine dernière, le gouvernement réaffirme l’intention de répondre aux enjeux de renouvellement des générations agricoles et de transition écologique, et assure y apporter les réponses nécessaires et suffisantes. Malheureusement, l’expérience de nos réseaux nous permet d’affirmer qu’au contraire, nombre d’entre elles sont inadéquates et insuffisantes.

Une définition erronée de la souveraineté alimentaire, et risquée pour des installations durables

Le premier article du projet de loi prévoit que toutes les politiques publiques agricoles concourent désormais à l’objectif de souveraineté alimentaire de la France. Ignorant les principes clés de ce concept, pourtant reconnus par l’ONU en 2018, la définition qui en est donnée fait la part belle au productivisme agricole tant vanté par les acteurs agro-industriels. En plus de fragiliser les agriculteurs et agricultrices de notre pays et des pays tiers, la souveraineté alimentaire entendue en ce sens est aussi largement incohérente avec les enjeux de transition écologique auxquels nous devons collectivement répondre. 

Alors que le renouvellement des générations est une formidable opportunité pour engager la transition du secteur agricole, ce premier article prévoit également que les politiques publiques devront désormais orienter “en priorité l’installation en agriculture vers des secteurs stratégiques pour la souveraineté alimentaire et énergétique”. Qui définit cela ? Selon quels critères ? Quels seront les effets sur l’accès et la répartition des aides publiques de soutien à l’installation ? Sur les Schémas Directeurs Régionaux d’Exploitations Agricoles (SDREA) ? 

Nos organisations alertent sur le danger d’une telle définition. En l’état, rien ne permet d’éviter que les projets d’installation fortement capitalistiques, sur des modèles intensifs, promettant des niveaux de production industriels sans considération réelle pour les enjeux environnementaux, climatiques et sociaux, se retrouvent à nouveau favorisés face à des projets d’installation qui contribuent effectivement à la souveraineté alimentaire de leur territoire tout en répondant aux objectifs de transition écologique. 

Par ailleurs, quelles garanties avons-nous que l’objectif des politiques installation-transmission posé ainsi ne justifie pas d’écarter toute modalité de soutien à la restructuration des fermes, nécessaire pour assurer la continuité de certaines activités et l’accessibilité de nombreuses fermes à transmettre ? Nos organisations, qui accompagnent de longue date les processus diversification-restructuration des fermes, ont pourtant souligné l’importance de les soutenir et de les encourager, comme réponse cohérente à l’enjeu du renouvellement des générations agricoles, a fortiori en élevage. 

Une réforme de l’accompagnement à l’installation-transmission qui rate sa cible

L’article 10 constitue le plat de résistance de ce projet de loi avec la réforme de l’organisation du  parcours d’accompagnement à l’installation, la création du réseau France Services Agriculture (FSA) et l’obligation faite à tout candidat de justifier avoir été accompagné via ce service pour accéder à une liste d’aide publiques (non définie à ce jour). Cet article, dans sa forme actuelle, suscite de fortes inquiétudes. En effet, les mesures annoncées ne permettent pas de garantir que les modalités d’organisation et de fonctionnement du futur parcours assureront le pluralisme dans le pilotage et l’animation des futurs dispositifs d’accompagnement. Ce, alors que la consécration de ce principe a été maintes fois soulignée comme axe de réforme fondamental pour un parcours national de préparation à l’installation et à la transmission efficace. A contrario de son objectif initial, ce futur parcours pourrait mettre de côté toute une partie de l’écosystème de l’accompagnement et rebuter des candidats qui ne souhaitent pas se tourner vers les Chambres d’agriculture

Nos organisations souhaitent une refonte complète du parcours à l’installation-transmission et de ses instances de gouvernance, pour permettre l’existence d’une pluralité de parcours complémentaires à même d’accompagner au mieux la diversité des candidats qui se présentent aujourd’hui à nous, et de mieux accompagner les installations en agriculture paysanne et biologiques (voir notre CP du 21 février). 

Une réforme foncière écartée, ou comment passer à côté du sujet

Le gouvernement français a pris la décision de privilégier le recours au portage foncier pour répondre aux besoins de renouvellement des générations agricoles. Cependant, cette approche nécessite une réflexion approfondie et des mesures concrètes pour garantir son efficacité et son alignement sur les objectifs de transition écologique et de soutien aux agriculteurs et agricultrices. 

A ce titre, le recours au Groupement Foncier Agricole-Investissement (GFA-I) soulève des préoccupations. Dans la pratique, ce nouveau dispositif bénéficiera surtout aux grandes structures, les seules à même de s’engager sur des loyers supérieurs à ceux des baux de 9 ans. Ce dispositif accompagnera ainsi la dynamique actuelle de concentration des terres et de renforcement de l’agriculture industrielle, car les fermier·es les plus à même de payer des loyers élevés sont ceux qui sont déjà installés, et pas forcément dans les systèmes les plus écologiques. À ce jour, aucune disposition ne permet d’orienter ce dispositif vers des  projets soutenant la transition écologique, la souveraineté alimentaire ou le renouvellement des générations.

Enfin, le portage foncier ne suffira pas à lui seul à répondre aux défis actuels. Il est nécessaire d'activer d'autres leviers, notamment en renforçant la régulation foncière. La coalition “Installons des Paysans” propose plusieurs pistes d'action, telles que la création d'un observatoire du foncier agricole, le renforcement des SDREA, et l'harmonisation des différentes réglementations.

Flou sur les diagnostics, (trop) petit pas pour le test d’activité… du chemin reste à parcourir.

Pour le reste, une reformulation de l’article sur la création des diagnostics pour le moins floue, qui semble marquer un recul sur les ambitions à ce niveau et qui omet de tenir compte des recommandations de nos organisations, qui proposent pourtant des outils déjà très opérationnels et qui insistent sur le fait que ces diagnostics doivent constituer des outils d’accompagnement et non d’évaluation. 

Le droit à l'essai est timidement reconnu, comme modalité d’installation progressive. Nos organisations rappellent que le test d’activités agricoles, plébiscité lors des concertations sur le PLOAA, a fait ses preuves, mais est encore aujourd’hui confronté à de nombreux obstacles qu’il faudrait lever pour favoriser son déploiement. L'efficacité du dispositif du test d’activité et son utilité pour les porteurs de projet  a été souligné à maintes reprises et aurait nécessité sa reconnaissance dans la loi.

Tous ces éléments doivent être précisés et complétés par voie réglementaire, sur la base de groupes de travail en démarrage (comitologies sur FSA, diagnostics, droit à l’essai, baux ruraux). Si certains acteurs considèrent que les points à traiter dans ces espaces sont limités, nos organisations insistent : beaucoup reste à faire sur l’opérationnalisation de ces outils et services, pour des parcours efficaces et adaptés aux besoins d’accompagnement à la création et transmission d’activités viables, vivables et durables.

En complément à notre mobilisation dans ces espaces, l’amendement de la loi est indispensable. Les recommandations concrètes de nos organisations sont détaillées dans cette note.

L’alternative est entre les mains des parlementaires !

Plus de 14 000 fermes ont disparu sur nos territoires depuis le lancement officiel du processus PLOAA par Emmanuel Macron il y a 18 mois, en septembre 2022. Si le projet de loi était adopté en l’état, nous ne pourrons éviter la poursuite de l’hémorragie, et dès 2030, nous pourrions passer la barre des moins de 400 000 agriculteurs et agricultrices (contre 496 000 en 2020). Nous attendons des parlementaires qu’ils et elles adoptent les amendements nécessaires pour que la loi permette d’atteindre ses propres objectifs. Et nous répétons : sans paysannes et paysans nombreux, la transition agroécologique et le développement de systèmes alimentaires durables resteront des vœux pieux. 

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