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Transmettre sa ferme, un long chemin semé d'embûches

Publié le 13 octobre 2022 , mis à jour le 17 août 2023

En France, d’ici 5 ans, un quart des agriculteurs arriveront à l’âge de la retraite et devront transmettre leur ferme. Un gisement considérable qui pourrait constituer une formidable opportunité de transformation vers l’agroécologie. Mais un risque aussi. Celui de voir ces fermes nourrir la dynamique de concentration des terres à l’œuvre, alors qu’aujourd’hui ⅔ des surfaces libérées partent à l’agrandissement de fermes existantes. La transmission d’une ferme est un long chemin, semé d’embûches et d’émotion, qu’il est indispensable d’accompagner.

Une affaire d’affect

“Mes terres, je les avais dans la peau.” C’est par ces mots, que Loïc Gaudin résume son attachement aux terres que ses parents ont cultivées avant lui. Comme Loïc, nombre d’agriculteurs ont repris les terres familiales pour s’installer, perpétuant ainsi un destin familial tout tracé. Mais aujourd’hui à l’heure où les candidats et les candidates à l’installation ne sont plus les enfants d’agriculteurs (60% sont non-issus du milieu agricole), la transmission peut constituer un véritable arrachement qu’il convient d’accompagner. Comme le souligne Dominique Lataste, chercheur à l’université Paul-Valéry-Montpellier 3. “Lorsqu’ils parlent de leurs fermes, les paysans ne parlent pas que d’un outil de production ou de matériel : ils parlent d’abord d’eux-mêmes, d’où ils viennent et de ce qu’ils sont. C’est un « soi élargi ».” Loïc nous confie : “J’ai travaillé toute ma vie pour faire de cette ferme ce qu’elle est. Il était hors de question que le travail d’une vie soit démantelé et que ma ferme parte à l’agrandissement.” Par chance, la transmission s’est opérée en douceur pour Loïc avec l’accompagnement d’une bénévole de Terre de Liens, voisine de la ferme, et la rencontre de Colin, un jeune paysan en quête de terres. “Quand Colin est arrivé sur la ferme, tout de suite le courant est passé entre nous.” Après une période de tuilage, Colin a pu s’installer sur la ferme. “Depuis un an, il a officiellement repris la ferme et je peux maintenant penser à la suite !” s’enthousiasme Loïc. Mais pour nombre d’agriculteurs, la transmission de leurs fermes est trop souvent peu anticipée. Interrogés dans les recensements agricoles sur leur successeur potentiel, seul un tiers des agriculteurs de 55 ans ou plus déclarait en 2010 l’avoir identifié, cette proportion passant à 45 % pour les agriculteurs âgés de 60 ans et plus.

“La transmission est un long chemin qui englobe des décisions sur le plan économique et financier, mais également sur les aspects humains : transmettre, à qui ? Que faire de la maison ? Quel est le projet de retraite ?” résume Fabrice Ruffier chargé de mission installation-transmission chez Terre de Liens. “Ces questionnements doivent être accompagnés” ajoute t-il. “Trop souvent focalisées sur l’aide à l’installation, les politiques publiques semblent avoir oublié qu’avant l’installation, il y a souvent une transmission.” Ainsi, le programme d’accompagnement à l’installation et à la transmission en agriculture (AITA) est le programme national décliné dans chaque Région, avec un volet transmission plus ou moins conséquent Les structures d’accompagnement comme les ADEAR ou les CIVAM sont, elles, sous-dotées pour répondre aux demandes ou prendre le temps d’accompagner correctement au projet de transmission. “Un projet de transmission est complexe, il se prépare très en amont, en moyenne 5 ans à l’avance. Cela implique d’être en capacité de suivre le projet sur du long terme.”

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Une grande ferme en monoculture ; Deux propriétaires, André et Claudette, sensibilisés aux enjeux et accompagnés par leurs enfants dans la transmission de leur ferme ; Un collectif de jeunes paysans prêts à prendre la relève en donnant une nouvelle vie à la ferme. Voilà l’histoire d’une transmission réussie.

Une inadéquation entre l’offre et la demande

En France, la taille moyenne des fermes est passée de 24 ha en 1988 à 69 ha en 2020. Et les candidats à la reprise ne sont plus ceux d’hier. Au-delà de l’affect, une nouvelle conjoncture ajoute des freins à la transmission des fermes aujourd’hui en France. Parmi les fermes prochainement en quête de repreneurs, nombre d’entre elles ont connu un agrandissement et des investissements continus. Ultraspécialisées, capitalisées, et chères, elles ne correspondent plus aux attentes et aux capacités financières des nouvelles générations paysannes. Autrefois transmises aux enfants, c’est aujourd’hui ceux qu’on appelle les NIMA (Non Issus du Monde Agricole) qui représentent ⅓ des installations en moyenne (cela peut monter jusqu’à 70% selon les régions). Pour ces profils la « ferme idéale », c’est une production principalement végétale, en polyculture, idéalement en circuit court, qui ne requiert que des petites surfaces à dimension humaine. L’inverse donc, de l’offre du marché. En parallèle, le coût moyen à l’hectare en France a doublé en vingt ans, rendant l’investissement de plus en plus lourd pour les porteurs de projets qui ne se voient pas prendre un tel risque financier. "Au-delà, des freins affectifs qui peuvent compliquer une transmission, il faut donc aujourd’hui pleinement s’atteler à la nécessaire restructuration des fermes, pour qu’elles puissent se transmettre aux nouvelles générations.” conclut ainsi Fabrice Ruffier.

3 questions à Fabrice Ruffier, chargé de mission installation-transmission chez Terre de Liens

1/ Quelles sont les attentes des cédants qui toquent à la porte de Terre de Liens ?
Un cédant qui toque à la porte de Terre de Liens cherche avant tout à trouver un repreneur. Le problème, c’est que l’on a pas forcément de porteurs de projets en face. Nous recevons de plus en plus de sollicitations de cédants, mais le nombre de porteurs de projets reste plutôt stable. Il y a aussi une inadéquation entre l’offre et la demande : une grande partie des fermes à reprendre sont des fermes spécialisées de taille parfois importante, ce qui peut rebuter des porteurs de projets individuels. Pour reprendre ces fermes, on pense plutôt à des collectifs de paysans qui doivent prendre le temps de se constituer. Pour répondre à ce problème, les bénévoles et salariés qui font de l’accueil seront probablement amenés à travailler de plus en plus en lien avec les autres acteurs de l’installation-transmission (CIVAM, ADEAR…).

2/ Quelles questions faut-il se poser avant d’envisager un projet de transmission de foncier agricole ?
La clé, c’est l’anticipation. Il faut impérativement que le cédant ait bien réfléchi en amont à son projet de transmission. Sur le volet patrimoine : que faire de mon foncier ? Plutôt vendre ou louer ? Des membres de ma famille seraient-ils intéressés pour reprendre ? Si non, suis-je prêt·e à faire le deuil d’une reprise familiale ? etc. Le rôle de Terre de Liens est d’accompagner les cédants à se poser les bonnes questions, pour que le projet soit le plus clair possible et que la transmission se passe au mieux.

3/ Quels outils d’accompagnement Terre de Liens propose aux cédants ?
L’expertise de Terre de Liens peut porter plus particulièrement sur l’accompagnement des cédants propriétaires de foncier agricole. Nous avons notamment réalisé un guide de la propriété foncière agricole. C’est un outil d’aide à la réflexion, pour ouvrir progressivement le champ des possibilités qui s’offrent à un cédant propriétaire au moment de céder ou de louer son bien agricole, selon sa situation personnelle et familiale. Dans certaines régions, comme la Bourgogne-Franche-Comté, Terre de Liens organise des cafés-transmission, un moment convivial pour faciliter la mise en relation entre cédants et repreneurs. Et bien sûr, la plateforme d’annonce foncière Objectif Terres est incontournable ! C’est un outil très simple d’utilisation pour permettre aux cédants de déposer leurs annonces et aux porteurs de projets d’y répondre facilement.

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