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Marc Fesneau aux Terres de Jim : une loi d’avenir agricole écrite au passé

Publié le 11 septembre 2023 , mis à jour le 11 décembre 2023

© Unsplash / Leandre Chastagnier

L’enjeu est de taille pour une loi d’orientation qui ne voit le jour que tous les 10 ans : installer une nouvelle génération d’agriculteurs et agricultrices, limiter l’ampleur et les impacts des bouleversements climatiques et de l’effondrement de la biodiversité. Pourtant, derrière les effets d’annonce budgétaire, se dessine un projet de loi qui ne s’attaque pas aux réels problèmes de l’installation des nouvelles générations et de l’accès au foncier.

Face à l’énorme défi du renouvellement des générations agricoles…

Dans les dix prochaines années, un quart de nos agriculteurs et agricultrices partira à la retraite et plus d’un tiers ne transmettra pas sa ferme, faute de repreneurs ou repreneuses. La FNSEA, syndicat majoritaire qui a l’oreille du ministre, veut faire croire que la crise des vocations agricoles est une fatalité à laquelle seules la robotisation et la mécanisation de nos champs peuvent répondre. Pourtant, Terre de Liens et l’ensemble des ONGs réunies au sein du collectif Nourrir sont confrontées à une toute autre réalité. Tous les ans, des milliers de porteurs et porteuses de projets agricoles - des ingénieur·es agros qui décident de “bifurquer”, des personnes en reconversion professionnelle, des exilé·es - sollicitent nos réseaux à la recherche d’un accompagnement à l’installation. Ce sont des NIMA : des “non-issues du milieu agricole”. Ils et elles représentent 60% des candidat·es à l’installation agricole et aspirent à des projets agricoles porteurs d’avenir : agriculture biologique, installation en petite surface ou en collectif, vente en circuits courts, etc.

…des porteurs et porteuses de projet laissé·es pour compte

Ces personnes, qui devraient être la cible prioritaire d’une vraie politique publique d’installation agricole et de transition écologique, sont laissées pour compte. Dans son projet de loi, Marc Fesneau rebaptise les ”Points d’Accueil Installation”, qui deviennent “France Services Agriculture”. En dehors de ce ravalement de façade, rien ne change : le dispositif d’accompagnement continue d’exclure les structures paysannes et citoyennes, pourtant les plus à même de conseiller et outiller les candidat·es : car ce sont elles qui assument cette responsabilité sur le terrain, de façon très précaire, depuis des années. Dans son rapport sur les enjeux d'installation et de la transmission en agriculture publié en avril dernier, la Cour des comptes regrettait ainsi une “inégale représentation des différents types d’agriculture parmi les opérateurs chargés d’accompagner les agriculteurs en dépit des engagements pris”.

Il y a quelques années, après avoir occupé divers emplois dans l’agronomie, j'ai décidé de rechercher des terres pour m’installer en agriculture bio. Je débute alors un tour de l’Hexagone à la recherche de terres. Mais très vite, je suis confronté à la difficulté de trouver une ferme à reprendre. Dans les réseaux classiques des chambres d’agriculture, je suis confronté à des fermes trop grandes et impossibles à reprendre sans me mettre financièrement en difficulté. Si j’ai pu m’installer, c’est grâce à Terre de Liens, qui a compris les enjeux de mon projet.
Emerick Duclaux

Arboriculteur installé sur une ferme Terre de Liens

La terre agricole, pré-carré des plus riches

L'accès au foncier agricole est la clé de voûte d’une installation, d’autant plus pour les candidat·es non issu·es du milieu. Pour favoriser l’installation agricole, il faudrait ainsi, de façon prioritaire, traiter la question foncière. En effet, le portage foncier permet à des agriculteur·trices de s’installer sur des terres appartenant à des “fonds de portage” et de les racheter progressivement. Mais la question de la durée est ici centrale : la rentabilité étant très faible en agriculture, le besoin de lisser les investissements dans le temps est primordial pour permettre l’installation de personnes non-issues du milieu agricole.

Or, le gouvernement semble être plus préoccupé par la rentabilité du dispositif pour les investisseurs que par l'accessibilité de ce dispositif aux candidat·es, comme en témoigne la lecture des premiers titres du “volet foncier” du projet de loi. En ouvrant le dispositif à n’importe quel investisseur extérieur aux exploitations, le gouvernement fait du portage foncier un outil de lucrativité ayant pour priorité un retour sur investissement.

Terre de Liens, qui acquiert des terres agricoles grâce à l’épargne citoyenne depuis plus de 20 ans, met en garde contre l’utilisation de fonds publics au service d’acteurs lucratifs. L'orientation du portage foncier vers des investisseurs ayant pour priorité la lucrativité aura comme effet de bord la sélection des agriculteurs et agricultrices les plus à même de payer les loyers les plus élevés. Cela se fera au détriment de leurs revenus et des projets de transition agroécologique, qui demandent de la prise de risque et qui nécessite de concilier recherche de rentabilité avec les besoins alimentaires et écologiques des territoires.

Le fond de portage, un outil pour les agriculteurs ou pour les investisseurs ?

En l’état, le projet de loi vient renforcer la logique de financiarisation des terres agricoles déjà à l'œuvre en France et qui dessine une agriculture sans agriculteurs et agricultrices. L’ouverture à des capitaux externes à la ferme ne représente en aucun cas un réel levier pour l’installation et pour lutter contre les dérives de l’agrandissement. Au contraire, comme le pointait déjà un rapport du CGAAER de 2013, “une politique de développement d’outils financiers faisant appel à des capitaux extérieurs à l’exploitation serait de nature à provoquer des effets contraires aux objectifs recherchés (éviter la spéculation sur le foncier agricole, protéger le revenu agricole...)” . Cela participerait à la constitution de structures agricoles de taille importante qui ne peuvent être reprises par des candidat·es à l’installation non-issu·es du milieu agricole qui sont, pour une grande partie, porteurs et porteuses d’un modèle de transition agroécologique.

Nos propositions

Terre de Liens appelle le gouvernement à faire de ce projet de loi un texte réellement fondateur pour la transition de l’agriculture française. Pour cela, il est indispensable d’y faire figurer a minima les dispositions suivantes :

  • Mettre en place un observatoire opérationnel qui recense exhaustivement : les unités de production agricole pour savoir qui possède le foncier et qui en a l’usage, qui permette notamment d’identifier les bénéficiaires effectifs des sociétés agricoles, les surfaces qu’ils contrôlent, en distinguant parmi ceux-ci les agriculteurs actifs, les projets de vente de biens immobiliers agricoles, de parts de sociétés agricoles et des projets de location. Un tel dispositif est de toute façon nécessaire au bon fonctionnement des institutions foncières en France (SAFER et Contrôle des structures).
  • Fixer un cadre commun au Schéma Directeur Régional des Exploitations Agricoles (SDREA) avec comme objectifs prioritaires (critères cumulatifs) l’installation : des personnes qui s'installent en deçà de la surface moyenne départementale/régionale par actif, des personnes qui s'agrandissent en deçà de la moyenne départementale, des personnes qui s'installent dans une limite de taille (seuil des structures), des personnes qui s'installent en agriculture biologique et plus largement en agroécologie, des femmes, d’espace-test agricoles. Ces critères d’attribution s’appliquent aux structures de portage foncier qui louent, dans le cadre du statut du fermage, à des personnes prioritaires.
  • Soutenir financièrement - notamment via la mise en œuvre du fond entrepreneur du vivant - l’ingénierie nécessaire et la mise en oeuvre des solutions de portage de foncier non lucratives, non spéculatives, ancrées dans les territoires et orientées vers la transition agroécologique, qui apportent un appui durable aux agriculteurs installés, respectent leur autonomie et préservent leurs revenus (sans tirer les fermages vers le haut pour rémunérer des apporteurs de capitaux). Ces solutions sont qualifiées d’initiatives foncières citoyennes (IFAC).

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