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Agriculture : colère et désespoir d’un côté, prétendu amour et fausses solutions de l’autre

Publié le 30 janvier 2024 , mis à jour le 5 février 2024

La Fournachère, Estive ©TDL Rhône-Alpes

Les mobilisations agricoles s’inscrivent dans une séquence qui ne fait que commencer : salon de l’agriculture, élections européennes, mais aussi arrivée d’une loi agricole au parlement au printemps prochain, accompagnée d’un “pacte” porté par le ministre de l’agriculture. Terre de Liens soutient le mouvement et s’inquiète de la tentation du gouvernement de confondre décroissance de la production et résilience des fermes, allant à contre-sens de la transition agricole aussi urgente qu’attendue.

“Il n’y a pas un monde agricole mais des mondes agricoles”. C’est vrai, mais colère et désespoir rassemblent bien plusieurs de ces mondes. Agriculture à “haute production” ou à “haute valeur naturelle” ont en commun d’être écrasées par un haut manque de reconnaissance politique, sociale, économique, alors que leurs difficultés sont immenses : l'effondrement de la biodiversité, le dérèglement climatique et les perturbations du cycle de l'eau sont des problèmes majeurs, avérés et qui fragilisent en premier lieu les agriculteurs et agricultrices. La volatilité des prix agricoles finit de les enfoncer.
Comment alors ne pas perdre espoir face à des politiques agricoles de la France et de l'UE aussi illisibles que contradictoires ? Car ni la récente réforme de la PAC, ni le projet de loi d’orientation et d’avenir agricoles ne répondent aux enjeux de durabilité agricole de la France. Passons sur les dispositifs Ecophyto et Egalim, argent jeté par les fenêtres sous les yeux des agriculteur·trices.

Pourtant les propositions de “Pour une autre PAC” montrent qu'il était possible de financer une transition agroécologique qui répondent de concert aux enjeux environnementaux et socio-économiques, tout en simplifiant tout un tas de procédures ubuesques.

Oui il faut simplifier les normes. Non il ne faut pas les supprimer. L’agriculture a besoin de normes cohérentes et applicables qui couvrent les besoins des agriculteur·trices et de la société, et non les profits de l'agroindustrie. Mais les solutions proposées par la FNSEA et la Coordination Rurale, dans un contexte préélectoral aux Chambre d'agriculture et aux Européennes, sont pure démagogie et risquent d'accentuer à terme la colère des agriculteurs et agricultrices.

En effet, la sécurisation des métiers et des revenus des paysans et paysannes n’est tout simplement pas possible sur le modèle de la modernisation agricole du XXe siècle reformulée en "numérique, robotique, génétique". Pomper dans des nappes phréatiques l'hiver pour faire évaporer de l'eau l'été, penser qu'il existe une molécule aux mêmes propriétés que le glyphosate mais non polluante relève de la pensée magique. L'agriculture française, “la plus durable au monde” selon la FNSEA ? Ce qui est durable, c’est la responsabilité d’un syndicat qui marche sur la tête autant qu’il piétine les terres et le vivant.

Dans sa quête de maximisation de la production, l’agriculture que défend la FNSEA porte de lourdes responsabilités : près de 40% des oiseaux des zones agricoles ont disparu en 30 ans et les populations d'insectes s'effondrent. Les émissions de gaz à effet de serre, elles, s’accumulent. Et “en même temps”, les rendements de l’agriculture conventionnelle baissent.

Alors oui, une pause normative est possible. Pour qui ne croit pas en la science, à l’emballement du dérèglement climatique et la perte de fertilité des sols. Nous refusons d’accuser le gouvernement d’une telle inconscience.

C’est pourquoi il est irresponsable pour ces syndicats et le ministère d'instrumentaliser la crise agricole et la souffrance des paysans en tentant de renforcer les propositions de statu quo (programme “Farm Sustainability Assessment”) ou de fuite en avant technologique, financée par le fonds Entrepreneurs du Vivant.

Le gouvernement, par la bouche de Gabriel Attal, a cru rassurer le monde agricole sur l’amour qu’il lui porte, par des annonces la semaine passée. Le compte n’y est pas :

  • La PAC : le gouvernement n’y peut hélas pas grand-chose car les grands arbitrages de la PAC (montant des primes, (très légères) règles environnementales pour les recevoir - BCAE) se négocient tous les 5 ans, la prochaine fois ce sera en 2027-2028. Or la dernière réforme de la PAC n’est qu’un bis repetita, pour le plus grand plaisir de la FNSEA.
  • Fiscalité sur le gazole non routier : renoncer à la hausse est une mesurette, (cela représenterait 200 €/an par ferme) qui va à l’encontre des recommandations du Haut conseil pour le climat qui indique que l’agriculture française doit baisser ses émissions de 18 % en 2030 par rapport à 2015.
  • Faciliter la construction des bassines et agrandir les bâtiments d’élevage ICPE (installations classées pour la protection de l'environnement) : voilà qui renforce l’industrialisation de l’agriculture alors que rien n’a jamais prouvé que cela améliore la vie et le revenu des paysans.
  • Réduire les contrôles administratifs : la question n’est pas le nombre mais la manière dont ils se déroulent. Comment imaginer que des agents de l'État sous pression avec des réductions d’effectif massif, puissent faire sereinement leur travail, d’autant plus que, lorsque les bâtiments de l’OFB à Brest ou de la DRAAF à Carcassonne sont attaqués, le gouvernement ne soutient pas ses agents.
  • Davantage d’argent pour les éleveurs de bovins et les producteurs bio : ça sonne bien… mais quelle vision derrière ? L’État n'arrive pas à faire en sorte que le bio monte réellement dans la restauration collective, ce qui offrirait des débouchés et une rémunération.
  • Les fameuses “jachères” attaquées de toutes part correspondent à des bandes de plantes mellifères (pour les pollinisateurs), des haies (qui retiennent l’eau et des nutriments dans les sols, procurent de l’ombre aux animaux, stockent du carbone et fournissent du bois de chauffage) et des mares (qui accueillent des espèces très vulnérables, et peuvent fournir de l’eau aux bêtes).
    Détruire un peu plus cela ne rémunérera pas mieux les agriculteur·trices, mais aura (et a déjà) des conséquences catastrophiques. Pourtant la PAC (et sa BCAE 8) n’est pas suffisante pour permettre que ces éléments agroécologiques soient protégés et développés sur les fermes. C’est pourquoi Terre de Liens a développé un programme dédié à la biodiversité pour accompagner les fermiers du mouvement vers le maintien et le développement de la biodiversité. Une fois de plus la société civile se substitue à l’incurie des politiques publiques.

A un gouvernement qui ose penser que les mesures environnementales engagerait une décroissance agricole, nous répondons que c’est confondre “décroissance” et "résilience”.

Aux mondes agricoles en détresse et colère, nous apportons notre soutien et avec eux et la société civile, nous porterons haut nos convictions et recommandations à l’occasion des prochains temps démocratiques.

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